Un œillet rouge pour "Le Français"
Un panorama magnifique de la ville de Toulon et de la méditerranée s’offre à vous en empruntant le téléphérique pour atteindre le sommet du mont Faron .
Un mémorial dédié à la victoire des alliés du 15 août 1944 (opération « Dragoon ») y est érigé. En observant les divers objets appartenant aux membres de la résistance au nazisme dans le sud, quelle ne fut pas ma surprise lorsque je constatai que le sort d’un proche parent d’un ami a été lié peut-être à la ville dans laquelle je vis aujourd’hui étant moi-même russe.
Je savais qu’une trentaine de milliers de soviétiques ont lutté âprement contre l’occupant fasciste en France. De nombreux soldats de l’Armée Rouge furent capturés par les allemands et parmi eux Victor Y. Karlusov, oncle de mon ami.
L’entrelacement des destins humains, la guerre, la captivité, la guérilla, le tragique, l’amour .
Né en 1922 dans une famille de meunier dans le village de Pal’na-Mykhailivka, district de Staroslavyanski dans la région de l’Orel, Victor était étudiant en seconde année de médecine à la faculté lorsque la guerre éclata.
Les derniers jours de juin 1941 Victor rejoint le front en tant que volontaire. Il participe alors à la libération et à la protection de la villed’Yelets dans la région d’Orel puis Moscou en intégrant un bataillon d’infanterie.
Blessé au combat et capturé par les allemands, il est déporté au camp de concentration d’Auschwitz, en Pologne. Début 1943 il est expédié en France contraint aux travaux forcés. Le chagrin était de mise, captif et loin de sa patrie n’est pas
chose facile à vivre.
Emilie, une jeune française va aider Victor à s’extirper de son triste sort, elle lui prodigua les soins nécessaires et lui procura de quoi se nourrir. De toute évidence la jeune fille était amoureuse du russe. Elle-même résistante, elle enrôle Victor et tous deux organisent et procèdent à plusieurs évasions de prisonniers parmi lesquels figurait un ami et compatriote de Victor.
De ces années de guerre Victor Y ne s’est jamais répandu en évocation de souvenirs. De- ci de- là quelques récits fragmentés surgissent et laissent entendre que faisant partie d’un détachement armé du nom d’« œillet rouge », il avait mené des combats dans les montagnes du sud de la France.
Peut-être Toulon, qui sait ?
En 1946, Victor Y retourne en Union Soviétique mais à l’époque les combattants faits prisonniers sont considérés comme traîtres à la patrie. Dépossédé de toutes ses décorations militaires, il eut quand même la chance de ne pas être envoyé au goulag car c’était le sort réservé aux prisonniers de guerre. Victor a dû changé son véritable nom de famille Karlusov par Orlov pour protéger ses proches contre les représailles. Néanmoins, Victor Orlov fut sous surveillance constante du K G B.
Cette chance d’échapper au goulag, il la doit au hasard. Repéré par A.S d’Alexandrov dirigeant de l’ensemble de chants et danses de l’armée rouge car Victor avait du talent pour les danses populaires russes. Il fut engagé dans la troupe d’Alexandrov en qualité de danseur.
Victor a participé à de nombreux concerts y compris devant Staline.
Après une carrière de danseur, il a repris ses études à la faculté de médecine et a travaillé comme médecin radiologiste dans les hôpitaux ruraux.
Les parents et proches de Victor l’appelaient le Français. Victor était un homme gentil et joyeux qui aimait jouer de l’harmonica, chanter, cueillir les champignons. Il possédait un grand rucher et partageait le miel avec les autres villageois.
Victor a pris une part active dans la vie de son village en organisant divers aménagements tels que la création d’un étang pour l’élevage de poissons et a transmis tous ses savoirs à ses concitoyens : maniement des armes, pêche, apiculture, initiation à l’équitation…
Jusqu’à la fin de sa vie Victor Y. Karlusov-Orlov a conservé de longs cheveux ondulés, coiffure inhabituelle en Russie.
En avril 1985, Victor a été réhabilité pour sa lutte contre l’envahisseur fasciste lors de la libération de la région de Moscou ainsi que pour son engagement international en France.
Malheureusement, Victor a toujours été discret sur ses années de guerre et personne ne sait quelles missions il a effectuées avec la Résistance.
Il n’a jamais oublié la jeune fille qui lui sauva la vie et d’ailleurs la fille de Victor s’appelle Emilie. Probablement nostalgique de la lointaine France qu’il n’a plus eu l’occasion de revoir.
Chaque année, le 8 mai au cimetière du père Lachaise une cérémonie se déroule devant le monument dédié aux russes qui ont rejoint la Résistance française.
Si vous avez l’occasion de vous y rendre, n’oubliez pas d’y déposer un œillet rouge en souvenir de Victor Orlov. Qui sait ? Ce récit peut donner naissance à un roman.
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